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Que sait-on de la toxicité alimentaire du bisphénol A ?

Article de Jean-Yves Nau


Le gouvernement canadien vient de rendre publique sa décision d’interdire la commercialisation des biberons pour bébés en plastique rigide (polycarbonate) contenant du bisphénol A (BPA). Les représentants des industries concernées pourront cependant tenter de convaincre le gouvernement de revenir sur sa décision, lors d’une période de consultations qui s’achèvera à la mi-juin. Dans le même temps, un rapport préliminaire du ministère américain de la Santé estime que l’exposition de l’organisme humain au bisphénol A pourrait être à l’origine de problèmes hormonaux et neuronaux. Cette conclusion se base sur des résultats expérimentaux obtenus chez l’animal qui, selon ce rapport, «confirment que de faibles niveaux de bisphénol au moment du développement du corps peuvent provoquer des changements dans le cerveau, de la prostate, des glandes mammaires ainsi que l’âge de la puberté chez les filles.»
Autant d’éléments qui justifient de s’intéresser à cette substance plus connue dans le champ de la toxicologie, et notamment de la toxicologie alimentaire, que dans celui de la médecine. Le bisphénol A (ou 2,2-bis (4-hydroxyphényl) propane) a été pour la première fois synthétisé par le chimiste russe Aleksandr P. Dianin en 1891. Il a été très étudié dans les années 1930 à une époque où l’on cherchait à mettre au point des «œstrogènes» de synthèse mais on lui préféra le «diéthylstilbestrol». Il est aujourd’hui très largement utilisé comme «monomère» pour la fabrication industrielle par «polymérisation de plastiques» de type «polycarbonate» et de résines dites «époxy».
Il est aujourd’hui bien établi que le BPA peut interagir avec le système hormonal humain (il fait partie des «perturbateurs endocriniens») du fait de son activité œstrogénique. Ses possibles effets sur la fertilité, la reproduction, le système endocrinien ont suscité nombre de débats scientifiques, à la suite de rapports sur les effets à faible dose de BPA chez les rongeurs.
Si cette substance soulève aujourd’hui un problème alimentaire, c’est que le polycarbonate est omniprésent dans de nombreux récipients alimentaires, bouteilles de boissons recyclables, biberons, vaisselle et récipients de conservation des aliments. «Des résidus de BPA sont également présents dans les résines époxy utilisées pour former une couche de protection intérieure dans les cannettes et les cuves contenant des boissons et des aliments, explique-t-on auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). De petites quantités de BPA peuvent migrer à partir des plastiques polycarbonates ou des couches de résine époxy dans les boissons et les aliments. Le BPA peut également migrer dans les aliments si le plastique ou la résine sont endommagés ou fissurés.» Pour autant, le BPA est autorisé dans les matériaux en contact avec les aliments dans l’Union européenne, en Amérique du Nord ou au Japon.
En 2002, le Comité scientifique européen de l’alimentation humaine (CSAH) avait fixé la dose journalière acceptable à 0,01 mg de BPA/kg de poids corporel/ jour. Puis l’EFSA entreprit une réévaluation en 2006 sur la base de près de 200 rapports scientifiques publiés entre 2002 et 2006. Le groupe scientifique remarqua alors que les données comparatives sur la toxicocinétique du BPA montraient l’existence de différences majeures entre les espèces rongeurs et l’homme quant à la façon dont le BPA est assimilé par l’organisme.
Au total, après avoir examiné en détail toutes les données disponibles, le groupe scientifique de l’EFSA concluait que les nouvelles études fournissaient une base pour réviser les facteurs d’incertitude utilisés par le CSAH pour déduire la dose journalière acceptable de 0,01 mg/kg de poids corporel en 2002. Et après diverses considérations techniques, il a conclu que l’on pouvait sans risque passer à une dose journalière acceptable de 0,05 mg de BPA/kg de poids corporel.1
«Dans son évaluation, le groupe scientifique a porté une attention toute particulière aux nourrissons et aux enfants car ils appartiennent aux groupes où l’exposition alimentaire potentielle au BPA est la plus élevée par rapport au poids corporel, souligne-t-on auprès de l’EFSA. Les estimations du groupe scientifique concernant l’ingestion de BPA reposaient sur les hypothèses les plus prudentes ("scénario du pire" envisagé). Il est estimé que l’ingestion potentielle pour les nourrissons et les enfants est largement inférieure à la dose journalière acceptable.» En pratique, un bébé de trois mois nourri au biberon et pesant environ 6 kg devrait boire, par jour, plus de 4 fois le nombre de biberons habituel à cet âge pour atteindre cette dose. Pour autant, au vu de l’évolution de la situation américaine, l’EFSA a annoncé qu’elle allait faire procéder à une nouvelle réévaluation des risques.
«Au stade où nous en sommes, seules des études épidémiologiques et toxicologiques de grande ampleur et incluant de nombreux paramètres permettraient de fournir des résultats indiscutables en ce qui concerne la réalité des effets imputés au BPA, a déclaré au Monde Thierry Pineau qui mène des recherches sur ce thème au pôle de toxicologie alimentaire de l’Institut national de la recherche agronomique à Toulouse. En toute rigueur, ces études devraient également s’élargir aux xénobiotiques obésogènes comme les phtalates, ces composés chimiques présents dans l’environnement et dont on peut raisonnablement soupçonner qu’ils sont, avec la sédentarité, impliqués dans l’épidémie d’obésité en plein développement dans les pays industriels.»

1 Cette évaluation a été effectuée par le groupe scientifique de l’EFSA sur les additifs alimentaires, les arômes, les auxiliaires technologiques et les matériaux en contact avec les aliments. Elle est disponible à l’adresse suivante :
www.efsa.europa.eu/EFSA/efsa_locale-1178620753816_1178620772817.htm

14.05.2008

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